samedi 28 juillet 2012

2. Raconter l'histoire malgré les absents...

La première démarche dans le travail de tout documentariste consiste en un "état des lieux" : à quel matériau a-t-on encore accès pour raconter l'histoire en question, et quels témoignages peut-on espérer recueillir ?
Raconter l'histoire de Pif-Gadget sans remonter à ses origines eut semblé relativement facile, puisque ce journal est né officiellement en 1969. Pourtant, la majeure partie de ses auteurs "historiques" a disparu... Des scénaristes des débuts (qui furent aussi les principaux) Roger Lécureux et Jean Ollivier, aux dessinateurs et/ou auteurs géniaux que furent (dans le désordre) Cabrero Arnal, Raymond Poïvet, Raphael Marcello, Jean Tabary, Jean-Claude Poirier, Paul Gillon, Lucien Nortier, Jean Cézard, Michel Motti, Roger Mas, et j'en passe...  sont partis dans un monde meilleur avant d'avoir pu participer à cette saga.


(ci-dessus : Cabrero Arnal, Jean Cézard et Roger Mas, en 1973)

Heureusement, certains auteurs et dessinateurs ayant contribué aux grandes heures de Pif-Gadget sont encore parmi nous pour m'aider à raconter leur histoire ! 
Je ne les mentionnerai pas tout de suite pour ménager quelques surprises ...

Cela dit, quel intérêt de réaliser un documentaire sur l'histoire de Pif-Gadget sans raconter celle du journal Vaillant, qui en fut la matrice ? Autant raconter l'histoire du pain sans parler de la farine...
Ci-contre, le dernier numéro du journal intitulé encore "Vaillant - le journal de Pif" avant son changement radical de formule, qui allait ouvrir sur un quart de siècle de transmutations successives. En cliquant sur la couverture, on accède à une page du blog "Vaillant-pif-gadget" qui évoque en images son contenu.
A lire aussi, sur le site "Pif-Collection"

Après la rencontre amicale avec Richard Médioni (au sujet duquel je reviendrai en septembre !) la première prise de contacts très informelle avec les anciens de Vaillant et Pif eut lieu en 2004 au Bataclan. On y fêtait ce soir-là une "résurrection" du journal Pif-Gadget, qui se révélerait éphémère mais suscitait alors un énorme enthousiasme. 
Parmi les auteurs présents je fis notamment la connaissance de Jacques Nicolaou (dessinateur de "Placid et Muzo"), de Jacques Kamb (Couik, Dicentim le petit Franc) et surtout de Jean Ollivier, peut-être mon scénariste préféré de l'histoire Vaillant / Pif-Gadget, dont le sens de l'aventure humaine avait fait rêver les lecteurs des séries "Yves le loup" ou "Capitaine Cormoran" dans Vaillant, puis "Docteur Justice" ou "Loup-Noir" dans Pif-Gadget... Nous nous promîmes de nous revoir ultérieurement, tandis que je captais quelques images-souvenirs de la soirée, avec un petit camescope DV.
Malheureusement il disparut l'année suivante, sans que j'aie pu le revoir.


Quelques images de la soirée de ressortie de Pif-Gadget en 2004 :

L'absence des 2 scénaristes "historiques" du journal (Roger Lécureux, le plus prolifique de tous, s'était éteint en 1999) augurait mal de l'avenir de mon projet.
En 2006 je repris mon bâton de pèlerin, caméra en main, profitant de la présence de 2 auteurs sur le salon de la BD au Parc Brassens (15e arrondissement).
Je ne parlerai pas ici de Jacques Kamb, auquel je consacrerai la semaine prochaine un long article, tant il m'a ouvert de portes et de pistes pour ce film, mais d'André Joy.

De son véritable nom André Gaudelette, ce Monsieur de la BD avait un style graphique absolument unique en son genre. Ma découverte assez récente des différentes époques du journal Vaillant et notamment de ses bandes, m'avait laissé un souvenir émerveillé. 
Un peu timidement, je lui demandai l'autorisation de tirer de notre rencontre impromptue quelques images que je me proposai de mettre en ligne ensuite et dont je lui ai d'ailleurs envoyé une copie en DVD. D'une grande gentillesse sous ses airs bourrus, il ne se contentait pas d'une simple dédicace pour les lecteurs, mais réalisait à leur intention un vrai beau dessin qui lui prenait un quart d'heure. D'ailleurs, on m'a raconté qu'il emportait souvent des albums chez lui (quand il restait 2 jours sur un salon) et s'astreignait à réaliser pour chaque lecteur  qui n'avait eu sa dédicace un magnifique dessin, qu'il leur remettait le lendemain...
Je conseille à tous les amateurs de belle BD de se procurer les albums rééditant les bandes d'André Joy, en commençant par "Jojo des rues" et "P'tit Joc" !

André Joy participait parfois au Salon de la BD de Collection organisé par le regretté Georges Gasco. J'espérais le revoir pour un entretien qui me permettrait de recueillir ses souvenir de Vaillant (il avait quitté le journal en 1956, furieux de l'absence de réaction du PCF après l'intervention russe en Hongrie - cette simple anecdote donne à la fois une idée du personnage mais plus encore, une idée des contradictions au sein du PCF et du journal Vaillant à l'époque, élément précieux pour ma réflexion sur l'histoire du journal).
Malheureusement son état de santé se dégradait et je n'osais le contraindre à un entretien vidéo dont il semblait peu friand...

Il nous a quittés en mars, et j'en parlais dans une chronique ici, qui fut l'occasion d'évoquer aussi Georges Gasco et mettre en ligne une version de meilleure qualité du petit clip que j'avais tiré de notre courte rencontre :



Il ne sera pas dans le film, malheureusement.
Mais d'autres y figureront, et pas des moindres ! La plupart (une quinzaine !) sont "déjà en boite" tandis qu'il me reste à partir à la rencontre d'une poignée d'autres : dessinateurs, scénaristes ou rédacteurs.



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La semaine prochaine, justement, j'évoquerai les rencontres avec Jacques Kamb, un "pilier" qui a accompagné quasiment toute l'histoire de Vaillant à Pif-Gadget et auquel j'ai déjà consacré plusieurs sujets en vidéo (me réservant tout de même de précieuses images inédites et séquences magnifiques pour le film à venir !). 

A la semaine prochaine !



jeudi 19 juillet 2012

1. Moteur !

Qu'on appartienne à la génération des vieux trentenaires ou à celle des jeunes quinquas, le nom de "Pif-gadget" suffit pour qu'immédiatement toute une ribambelle d'images colorées surgissent à l'esprit : pour les uns c'est le souvenir des fameux gadgets qu'on déballait le jeudi matin (puis le mercredi ou le lundi ou le samedi, selon la période...) pour les casser souvent avant le coucher du soleil. Les autres, les plus nombreux, ressentent évidemment un vent de nostalgie liée à ces compagnons d'enfances qui se nommaient Rahan, Docteur Justice, Placid et Muzo, Totoche, Dicentim le petit Franc, Gai-Luron, ou pour les plus pointus d'entre eux, les Pionniers de l'Espérance ou Corto Maltese...

Pour les Français nés juste avant ou après la Seconde Guerre, c'est le nom "Vaillant" qui résonne à la manière d'un cri de ralliement, et qui recoupe une histoire assez extraordinaire de la bande dessinée française, pendant un quart de siècle... avant la mue de la fin des années 60 : "PIf-Gadget" prendra alors (en février 1969) le relais pour un autre quart de siècle.
Car - il est toujours bon de le rappeler pour les plus jeunes - "Vaillant", c'est bien l'organe de presse, issu des jeunesses communistes résistantes, qui est devenu à la fois le concurrent direct de la presse jeunesse franco-belge (Spirou, Tintin, etc..), de la presse jeunesse française catholique (groupe Bayard et Fleurus) et des illustrés d'origine américaine (qu'on trouvait dans "Robinson", puis "Mickey", etc..)

Voilà pour un résumé très très succinct.

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(Le 1er numéro de Vaillant (en fait le n.31 du "Jeune Patriote"), puis une version de "Vaillant le journal de Pif" dans les années 60, et enfin le 1er numéro de "Pif-Gadget" en 1969)

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Depuis 2007, j'ai entrepris un premier travail de recherches et surtout d'enregistrement de témoignages audio-visuels. Il s'agissait dans un premier temps d'accompagner en quelque sorte le travail effectué par l'équipe qui avait publié un beau livre consacré à l'histoire du journal Pif-Gadget, et de multiplier les contacts avec les anciens auteurs du journal, pour faire partager sur les nouveaux médias (internet...) leur expérience dans cette presse jeunesse dans les années 50 à 90. 
La page Dailymotion consacrée à ces vidéos se nomme "Gadgetus" - titre des pages des premiers Pif-Gadget consacrées au gadget ! - et y regroupe les vidéos tournées sous le sigle générique "Nos années Vaillant / Pif".

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FLASHBACK : un reportage-documentaire vidéo sur Pif-Gadget en 1999 !
En 1999, le réalisateur Marc Rouchairoles a eu l'idée de suivre les pas d'un collectionneur et fana de Pif-Gadget, Christophe Ménier, pour aller à la rencontre des auteurs du journal.
Ce documentaire existe encore sous forme de DVD. On y découvre quelques grandes "vedettes" du journal, et notamment quelques "figures" aujourd'hui disparues, telles que Roger Lécureux (scénariste de Rahan et membre historique de la rédaction des débuts), Jean Tabary, Paul Gillon, etc... Réalisé avec des moyens limités et dans le format vidéo de l'époque, ce film permet néanmoins de voir à l'oeuvre et d'écouter parler ces artistes, ce qui en fait de facto une archive historique incontournable !

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En 2004, la ressortie du titre "Pif-Gadget" sous une nouvelle forme pendant 3 ans, malheureusement éphémère, avait également relancé l'intérêt pour cette histoire.

Richard Médioni, ancien rédacteur en chef de Pif-Gadget et auteur du livre "Pif-Gadget, la véritable histoire - des origines à 1973", m'avait vivement encouragé à poursuivre mes travaux de "recueil de témoignages" en vidéo et je m'étais décidé à en faire un grand film documentaire qui ne se contenterait pas d'une succession d'interviews, mais tenterait au fil de ces témoignages de reconstituer l'évolution d'une certaine jeunesse française durant les "trente glorieuses", et de raconter la manière dont on s'adressait à eux, dont on nourrissait leur imaginaire, et au passage ce projet serait également une manière de remettre certaines pendules à l'heure, de restituer l'histoire contemporaine "populaire" vue et vécue à travers le prisme de la jeunesse. Le fait que les éditions Vaillant soient issues directement de comités liés au PCF est évidemment une sorte de "pierre angulaire" de cet édifice, mais l'évolution du journal et la qualité de ses auteurs s'est parfois révélée totalement indépendante de cette quasi-tutelle.
Et puis, il reste beaucoup de faits et d'informations formidables à partager, faire connaître, parfois corriger. Un fourmillement d'images et d'archives pour offrir un éclairage, sinon totalement original, en tous les cas très riche et stimulant, pertinent et impertinent, parfois émouvant sur cette période "illustrée".


(ci-dessus : Richard Médioni, lors d'un long entretien pour le film, tenant en mains une pièce très recherchée des collectionneurs : le fameux Pif-gadget contenant les "pois sauteurs"... encore dans son emballage d'origine !
Ci-dessous, Georges Rieu, rédacteur en chef qui a lancé la formule "Pif-Gadget", ici s'amusant d'être caricaturé par Gotlib dans un gag de Gai-Luron...))

Depuis 4 ans, ce projet documentaire s'est développé, et il prenait parfois la tournure d'une course contre la montre. Les auteurs et ancien collaborateurs de Vaillant et Pif-Gadget encore parmi nous ont souvent démarré leur carrière dans les années 1950 ! Pour certain, comme Kline (dessinateur de la bande "Loup-Noir" dans Pif-Gadget), cette carrière a même démarré à la fin des années 40. (il a aujourd'hui 91 ans)
Par conséquent, il y a une certaine urgence à recueillir des témoignages.
Je me suis suffisamment lamenté sur le fait de n'avoir pu interviewer Raphaël Marcello et Jean Ollivier (respectivement dessinateur et auteur de "Dr. Justice", disparus à 2 ans d'intervalle, en 2005 et 2007), ni Jean Tabary (décédé en 2011), Roger Mas (dessinateur le plus ancien de Pif après son créateur Arnal), disparu en 2010, Paul Gillon (également décédé en 2011)...
Travaillant seul en fonction des possibilités et des rencontres, mais à chaque fois dans un cadre professionnel (tant pour l'image HD que pour la prise de son), j'ai ainsi pu récolter des images inédites et souvent très précieuses.
Une vingtaine de témoignages et d'autres images forment le coeur de ce corpus d'un genre particulier, visant à restituer une certaine mémoire illustrée de la jeunesse française (mais également hors de France, comme nous aurons l'occasion d'en parler !).

(ci-contre : dessin-gag de Jacques Kamb, peu après notre première rencontre... par caméra interposée !)

Les prochains articles de ce blog apporteront quelques éclairages sur divers personnages rencontrés durant le tournage, évoqueront les tournages eux-mêmes - passés ou à venir - ainsi que les documents trouvés, les recherches en cours, et constitueront (comme l'intitulé du blog le laisse pertinemment entendre... haha) une sorte de "journal de bord" de cette entreprise démarrée il y a plusieurs années et qui connaîtra un aboutissement à la fin 2013.

Et ce n'est pas tout...

D'autres événements liés à l'univers de Vaillant et Pif se profilent à la rentrée... et les lecteurs de ce blog en seront les premiers informés !
Des surprises de taille... 
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Mais avant toute chose, je profite de ce 1er article du journal de bord pour partager quelques liens très utiles ou amicaux, qui ont permis parfois de démarrer une belle histoire, ou bien donnent à voir et parfois découvrir pour la première fois des documents magnifiques. C'est ma manière de les remercier d'être, eux aussi, ces ados éternels et éternellement émerveillés qu'on ait pu s'adresser à leur enfance en leur ouvrant autant de portes...

(une série extraordinaire de fascicules retraçant de nombreux épisodes de l'histoire de Vaillant et Pif-Gadget, réalisés par Richard Médioni et Françoise Bosquet, avec l'aide d'Hervé Cultru, Mariano Alda, Bernard Ciccolini et plein de collaborateurs enthousiastes. Et c'était gratuit ! Malheureusement les numéros ne sont plus en ligne...)

(Le site par lequel beaucoup de choses ont démarré, et notamment le livre de Richard Médioni, qui avait en quelque sorte lancé sur ce site les premiers articles de son futur ouvrage) - réalisé par Philippe Baumet

(on y retrouve une série de clip et vidéos exclusives consacrées à des personnalités ou événements liés à Vaillant ou Pif)

(Une partie du forum "Pimpf" est consacré à l'univers de Vaillant et Pif)

(On y trouve régulièrement des articles mettant en valeur de magnifiques illustrations choisies dans l'histoire du journal Vaillant ou Pif)

Les liens vers d'autres sites "amis" et généralement incontournables viendront agrémenter les articles suivants... ;-))

Jean-Luc Muller - juillet 2012



Clin d'oeil : dans le film "Peur sur la ville" d'Henri Verneuil (tourné en 1974, alors que Pif-Gadget est encore à son apogée !), on voit Jean-Paul Belmondo feuilleter un... "Docteur Justice")