lundi 3 septembre 2012

4. A la recherche des lecteurs perdus...


Avant de publier quelques chroniques très "touffues" de tournages passés et à venir, avec au passage le portrait de personnalités rencontrées, qui furent des piliers de Vaillant ou de Pif-Gadget (toutes époques confondues), une petite réflexion de rentrée au sujet des lecteurs.

Raconter un journal d'illustrés pour la jeunesse, c'est évidemment en creux une manière de raconter le contexte d'une époque, la philosophie ou l'idéologie qui animent les créateurs et auteurs, mais on peut également se dire que chemin faisant, on décrira le quotidien et le point de vue des lecteurs. 
Or, j'ai constaté que la manière d'évoquer ces lectures d'enfance et de jeunesse, selon qu'on interroge des lecteurs de Vaillant de 1950, de Pif-gadget de 1970 ou du même journal en 1985, on obtient des ressentis très différents et une manière d'en parler qui aura autant de points communs que de divergences énormes.


A gauche : Vaillant en 1946  -  à droite : Pif-Gadget en 1989.
En l'espace de 43 ans, un véritable bond quantique
dans le culture populaire destinée à la jeunesse !

Les lecteurs de l'immédiat Après-Guerre vivaient dans un contexte de pénurie. Les "illustrés pour la jeunesse" étaient une fenêtre vers un "ailleurs" nécessaire, qui offraient en peu de pages (les illustrés de l'époque avaient 8 à 16 pages, rarement plus) et sur papier journal des histoires édifiantes et parfois cocasses, mais toujours paternalistes. 
Les débuts de "Vaillant" ne dérogeaient pas à cette règle implicite, avec ceci de différent (comparativement à la presse catholique familiale, dominante alors) que le journal se voulait également un démarquage affirmé des bandes américaines qu'il "pompait" pourtant allègrement, comme tous les autres illustrés français de l'époque (on en reparlera, car il y a beaucoup de choses à en dire et que l'évolution sera finalement plutôt à l'avantage de ce journal... !). 
Quelques héros présentés par Vaillant en 1952...
Le souci d'ouverture des jeunes lecteurs au monde qui les entoure était une priorité pour certains de ses concepteurs (notamment Madeleine Bellet, résistante communiste et membre de l'équipe fondatrice du journal, qui fera partie du Comité qui créa la fameuse "loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse" - façon détournée de réduire l'audience des illustrés américains !). Il fallait distraire cette jeunesse, encore traumatisée par la guerre (et qui en subissait encore les privations) et avide d'évasion, d'activités, de mouvement...

Les jeunes lecteurs des époques consécutives liront leur journal dans un contexte économique et culturel très différent, et leur manière de le lire et de s'en servir auront peu de choses en commun avec la génération précédente. Cette pratique de lecture suivra de près l'évolution de l'importance accordée par la société à ces loisirs d'enfance.



Je me suis également aperçu (mais c'était prévisible) que les souvenirs des anciens lecteurs de Vaillant ou Pif-Gadget n'étaient pas uniquement liés au plaisir de se souvenir de telle ou telle lecture, de tel ou tel gadget... mais dans leur manière de rappeler à leur mémoire ces lectures, il y a généralement un renvoi immédiat à l'idée rétrospective qu'ils ont de leur enfance et à l'idée qu'ils se faisaient à l'époque de leur vie et de leur avenir. En retrouvant les aventures de Yves le Loup, le dessinateur Baru retrouve sa passion d'enfance pour l'aventure (il lisait cela en 1957 et le raconte dans "Les années Spoutnik") ; quand il se replonge dans "Dr Justice", un autre ancien lecteur (célèbre, mais dont je ne veux pas dévoiler l'identité ici !) se souviendra de son envie de se mettre au judo et même, des années plus tard, d'adapter un jour l'histoire en feuilleton...

VAILLANTS et VAILLANTES...
Au lendemain de la Guerre, les enfants étaient une préoccupation particulière : ils représentaient l'avenir, la reconstruction du pays... 
Un peu à la manière des Scouts, les comités du PCF avaient lancé les clubs des "Vaillants et Vaillantes", sous l'égide du journal. On y faisait du sport, il y avait des sorties "culturelles" et des ateliers... et on accompagnait aussi les adultes pour les défilés du 1er mai, comme on peut le voir sur cette image tirée d'archives audiovisuelles lors d'un défilé du 1er mai des années 50. (en plus, ils défilaient dans MON quartier... !) On reconnait très bien la forme stylisée du logo du journal ! :



J'ai eu l'occasion, en 2010, de rencontrer et d'interviewer un couple d'anciens lecteurs et... vendeurs des tout premiers "Vaillant", qui ont la particularité d'avoir connu le journal dès 1945 (ils le vendaient en culottes courtes, alors qu'ils faisaient partie des clubs "Vaillants et Vaillantes") et surtout, de s'être rencontrés dans le girond de ce journal... et ne plus s'être quittés pendant les 60 années qui ont suivi ! 
Cécile et Jacques, militants de la première heure, figureront évidemment dans mon film... ;-)


En 1945, dans la rue, Cécile et ses Vaillant...

En 2010, devant ma caméra : Cécile et son mari... toujours vaillants !


Cécile et Jacques évoqueront leur rencontre, mais aussi leur manière de "transmettre le flambeau" aux enfants et petits-enfants. Cécile m'a montré comment elle nouait son foulard des "Vaillantes" et m'expliquait à quoi servaient ces petits sacs à l'effigie du journal, destinés aux invendus... que les Vaillants et Vaillantes revendaient à la criée !



Georges Rieu, qui fut rédacteur en chef de Vaillant dans les années 60 et a imposé le tournant vers Pif-Gadget en 1969, me le raconte en interview dans le documentaire : lorsqu'il a souhaité progressivement abandonner les récits "à suivre", il épousait en réalité l'évolution des goûts et du rythme de la jeunesse de l'époque, qui n'avait plus la patience de ses aînés et voulait dévorer des aventures sans pour cela patienter plusieurs mois avant d'en connaître le dénouement.

Avec Pif-Gadget, l'hebdomadaire sera "tout en récits complets" et surtout, le journal se mettra progressivement à s'adapter, et même à partir du milieu des années 70, à singer et racoler le grand média qui dominera désormais l'essentiel des occupations de loisirs des enfants et des parents : la télévision.
Ce sera l'un des grands sujets du film, agrémenté de quelques pépites et archives dont je ne dévoile évidemment rien ici ...

A suivre ! 

(Très bientôt, les portraits vaillantesque de grandes "pointures" de l'histoire de Pif-Gadget, rencontrées pour le film... :-))

5 commentaires:

  1. Salut Magicien,

    Ton article me rappelle fortement ce que mon père me racontait lorsque enfant je lisais Pif gadget.

    Lui-même lecteur des tous premiers Vaillants jusqu'au début des années cinquante, il me disait souvent que les histoires dans Vaillant étaient bien plus passionnantes à cause du rythme "à suivre".
    Il avait raison. Un récit s'étalant durant des semaines et sur plusieurs dizaines de pages, avec de multiples rebondissements sera toujours plus intéressant à lire qu'un récit en dix ou vingt planches qui doit aller rapidement à l'essentiel.

    Et pourtant, les deux grands scénaristes maison, Jean Ollivier et Roger Lécureux, ont su me passionner avec leurs personnages qui sont devenus des classiques de la bd. Je pense à Rahan, Loup Noir ou Docteur Justice.

    Amitiés.
    l'Apache

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    1. Merci ! Oui, les souvenirs des uns et des autres donnent une vision assez contrastée et complémentaire.
      De toutes manières on ne peut plus comparer : dans les années 50, on se ruait sur l'histoire à suivre... car il n'y avait pas grand chose d'autre à se mettre sous la dent, en termes de distractions !
      Aujourd'hui, c'est presque utopique comme vision des choses, vu qu'on n'a que l'embarras du choix. :-)
      Et dès les années 70, à part quelques "locomotives" comme Tintin, Astérix ou Blueberry, les très longs récits à suivre passaient de mode...

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  2. Je ne suis pas tout-à-fait de ton avis.
    En 1978, je trouvais que Pif gadget était bourré de publicités, les bd réalistes réduites à 10, voire 8 pages comme Rahan (aaarrrggghhh !), et le prix !!!
    Je me suis alors tourné vers l'hebdomadaire Spirou qui, tout en coûtant moins cher, proposait nombre de récits à suivre palpitants, dont par exemple les Innommables de Yann et Conrad au ton très caustique.
    Et preuve que le "à suivre" n'est pas mort, Spirou existe toujours. Quant à son contenu actuel, c'est une affaire de goûts, mais pas trop les miens... Ah ah ah !
    @+

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  3. Bonjour, je suis un lecteur du début des années '70. Forcément pour moi, la plus belle des époques. J'avais 9 ans. Je n'oublie pas mes retours d'école le lundi à midi. Je trouvais un moyen d'obtenir de ma mère 2F50 (que j'obtenais toujours) et courrais chez Odette chercher mon Pif. Le bar-tabac-presse était bien à presque 1km de chez moi et pourtant je trouvais le temps de commencer à le lire, à essayer de monter le gadget et... à manger.
    Quels souvenirs! Et quel journal!

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    1. Merci... Anonyme, pour ce témoignage qui me rappelle mes propres souvenirs ! (sauf que chez moi, on ne me donnait pas toujours les 2f50 ou 3f pour acheter Pif ! :-))

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