lundi 23 novembre 2015

Une curiosité !

Depuis qu'à débuté ce vaste projet (un marathon en forme de points de suspensions intermittents...) il y a eu des surprises, des trouvailles, des rencontres (quelques disparitions aussi..) et des tonnes d'images accumulées, documents divers et variés.
Aujourd'hui, je dévoile pour vous les dessous d'une véritable petite curiosité quasiment... "archéologique"... :-)

Depuis quelques mois, grâce à Ciné-archives, nous avons pu localiser des films anciens, images du passé permettant d'illustrer certaines périodes de l'histoire de Vaillant ou Pif-gadget.

Un court-métrage en dessin animé reposait depuis quelques mois dans des archives, sauvegardé sur pellicule 16mm. : " Pif le chien ", avec sur la bobine la mention d'une année, 1964, et le nom de son réalisateur : Jean Herman.


Je vais vous en dire plus - et en fin de page vous avez le lien pour visionner gratuitement ce dessin animé, sur le site ciné-archives.
Mais je vous suggère de lire ceci auparavant ; vous comprendrez pourquoi.
On ne connait pas très bien le contexte de sa réalisation ni de sa diffusion, mais voici les principaux éléments d’information à son sujet, illustrés par quelques photogrammes du court-métrage :

 Le dessin animé a été réalisé par Jean Herman (qui est le vrai nom de l’auteur et réalisateur Jean Vautrin, disparu le 16 juin dernier). Sa veuve en a transmis la seule bobine existante à Ciné-Archives.
Jean Vautrin est évidemment plus associé au cinéma (il a réalisé plusieurs longs-métrages, dont 2 avec Alain Delon) et à l'écriture (une douzaine de scénarios de grands films au cinéma, encore plus de romans marquants), mais pas spécialement au monde du dessin animé ou à celui des illustrés pour enfants.
Dans une courte interview que m'a accordée sa veuve, la comédienne Anne Doat, on découvre que sa présence ici n'est pas tout-à-fait un hasard...


Photo John Foley / Eds Fayard
 
 
 
 
 
 
 
  
En visionnant ce dessin animé, il est bien difficile de déterminer si l'équipe de conception s'est simplement basée sur des dessins tirés de Vaillant ou du journal Pif le chien, ou si l'auteur et son illustrateur se sont amusés sans vraiment se préoccuper des personnages originaux, tant le style est peu reconnaissable et - soyons honnêtes ! - le rendu des personnages très médiocre !

 
 
 
 
 
 
 
 
Autre curiosité :
On notera avec amusement que les voix sont créées par Jacques Bodoin, comédien connu alors pour ses registres comiques (on lui doit notamment une fameuse « table de multiplication » qui faisait beaucoup rire dans les années 60 et de nombreuses apparitions dans des seconds rôles au cinéma (on l'aperçoit même dans "Deux heures moins le quart avant J-C"...) ou dans des émissions de divertissement à la télévision.
Il fut également le mari de Micheline Dax, elle aussi grande spécialiste des voix de personnages au cinéma ou la télévision (Piggy la cochonne, c'était elle !)
Pour une raison assez arbitraire, on a décidé de donner à Pif et tous les autres personnages un accent… quasi berrichon ! Il semble que ce fut à la mode à l’époque, car les plus de 45 ans se souviennent peut-être que c’était également l’accent de « Zébulon » dans « Le Manège Enchanté » (dont Jacques Bodoin faisait la voix de Pollux... avec l'accent anglais !)… ou celui des Dupont et Dupond dans les dessins animés tirés des aventures de Tintin !

 
 
 
 
 
 
 
 
La société de production pour ce court-métrage était également assez connue à l'époque. Elle avait déjà produit 3 ans plus tôt un documentaire de Jean Herman sur la jeunesse délinquante, "Le chemin de la mauvaise route".
Elle coproduira par ailleurs quelques films marquants au cinéma, tels que "La guerre est finie" d'Alain Resnais ou "Un taxi mauve" d'Yves Boisset... ainsi qu'un certain nombre de "nanards"....

On découvre au début du dessin animé un montage de quelques couvertures ou cases du journal Pif le chien, qui paraissait parallèlement au journal Vaillant et reprenait les strips de Pif le chien d’Arnal, puis Mas, déjà parus dans le quotidien L’Humanité. Les vrais spécialistes reconnaîtront notamment des emprunts aux couvertures des numéros 73 et 81, parus la même année (1964) :



Ensuite, il s’agit d’un enchaînement de petites situations et « gags », dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas vraiment contribué à l’essor du dessin animé français ! Débuts de situations, comique très infantile, vague esprit de comique troupier sans queue ni tête… 
Cela ressemble plus à une ébauche pour tester des situations d'animations, qu'un vrai petit film. Et manifestement le public visé était les moins de 8 ans.

Cela dit, n'oublions pas que pour les jeunes enfants de 1964, qui n'avaient pas nécessairement accès à la télévision à la maison, le simple fait de voir s'animer des personnages familiers issus de la presse était en soit un événement !
Tout porte à croire que cet OVNI animé fut créé pour des projections destinées au public d’enfants lors de manifestations comme le Salon de l’Enfance, la Fête des Gamins de Montreuil, peut-être aussi en marge de la Fête de l'Huma, ou autres séances enfantines (avant-programme, etc…). Il faut donc se replacer dans ce contexte et cet état d’esprit pour apprécier cette récréation à sa juste mesure… et la regarder jusqu’au bout. :-)


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© BestImage - 1979

J'ai eu la chance de pouvoir demander à Anne Doat Vautrin si elle savait pourquoi son mari s’était retrouvé en charge de cette réalisation très … pittoresque :


« Jean était un très grand amateur de journaux illustrés et de toutes les formes graphiques populaires. Il avait d’ailleurs été abonné au journal « Vaillant », dont il avait conservé un souvenir formidable. 
Par la suite, il avait partagé ce goût pour les illustrés avec nos enfants, auxquels il achetait « Pif-gadget ». Je me souviens que c’était souvent lui qui le lisait le premier, d’ailleurs, ou qui en essayait le gadget !
Il y a d'ailleurs une photo assez connue où on le voit avec des jouets et divers gadgets, dont il raffolait (voir photo ci-dessus, datant de 1979)
A l'époque de ce dessin animé (1964), dont j'avais oublié l'existence, il avait déjà réalisé des courts-métrages et des documentaires.
Concernant son affiliation idéologique, bien que n'ayant jamais été « encarté » il était très proche de l’équipe du journal « L’Humanité » dont il partageait un certain nombre d'dées, et il a pu sembler logique de lui confier ce petit travail, qui a sans doute dû beaucoup l’amuser. »

Merci infiniment à Anne Doat Vautrin pour sa gentillesse.
Elle a accepté que je puisse éventuellement utiliser des images de ce dessin animé dans mon projet.
Merci également à Maxime Grember de Ciné-archives et à mon ami Baru (qui eut la chance d'adapter en BD le roman "Canicule" de Jean Vautrin, et grâce à qui j'ai pu contacter son épouse)

Jean-Luc Muller


Et enfin, le lien pour aller visionner cette curiosité... avec les yeux d'un enfant, pleins d'indulgence :

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jeudi 12 février 2015

Adieu, Jacques KAMB..


J'ai mis du temps à réaliser que Jacques KAMB ne verrait jamais le projet terminé, lui qui s'est tant investi dans cette vaste entreprise, pour laquelle il a donné plusieurs entretiens filmés et souhaité que son ultime "Dicentim Poche" en soit le compagnon jusqu'à la sortie du film terminé…

Il m'a fallu du temps aussi pour mettre des mots sur ce blog afin d'accompagner mon camarade Jacques et lui rendre un petit hommage. C'est un moment très dur...

Le film lui sera dédié.

Il suffit de revoir certains articles de ce blog pour se rendre compte à quel point Jacques KAMB en est indissociable depuis le début :

Il y a 2 ans 1/2, quasiment au départ de ce blog pour accompagner le projet, un grand coup de chapeau déjà :
http://vaillant-film.blogspot.fr/2012/08/3-tournages-et-retournages-avec-kamb.html


Et évidemment, il y a le "DICENTIM POCHE", dont l'idée avait germé il y a longtemps, mais dont le projet fut décidé presque parallèlement au départ du crowdfunding pour soutenir le financement du film. Jacques avait envie de réunir quelques récits de ses "poches" et je lui ai suggéré de tout simplement en réaliser un "vrai". Cela faisait un moment que je songeais à lui proposer d'éditer un "Dicentim Poche" mais sans trop savoir comment nous nous y prendrions  D'abord réticent, il s'est laissé convaincre, à condition que je puisse lui fournir quelques gags, des pages de rédactionnel (après avoir trouvé un imprimeur digne de ce nom) et surtout qu'on y parle du projet. De mon côté, j'insistais pour qu'on y parle de.. lui.
En septembre dernier, il me faisait le plus beau cadeau possible : il avait réalisé durant l'été un récit complet inédit de 24 planches, dont le thème était le cinéma et la rencontre fantasmée des principaux personnages comiques de Pif-gadget,  le récit étant rempli d'allusions au film en cours…
Ce sera son ultime récit.



Ci-dessous, un texte que j'avais rédigé à l'intention d'un journal BD, mais dont on m'a dit qu'il ne pourrait pas être publié (trop long, trop tard…). :

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Jacques KAMB était un ami, un véritable compagnon de route pour moi, mais aussi pour tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer.
Il est l'archétype de l'artisan de l'illustration de presse et de la BD comique destinée à la jeunesse.
Il faut savoir qu'il a débuté très jeune, dans les pages de l'Humanité Dimanche dès décembre 1950, alors qu'il n'avait que 17 ans.
Influencé par le trait de Jean Effel, il trouvera rapidement le sien, toujours à la recherche de la simplicité et d'une élégante efficacité.

Comme la plupart des lecteurs de ma génération, je l'ai découvert dans Pif-gadget, d'abord par l'intermédiaire de son personnage de COUIK, l'oiseau bleu préhistorique, à la philosophie humaniste teintée de beaucoup d'ironie.
Et puis évidemment, DICENTIM le petit Franc, qui a faire rire plusieurs générations de lecteurs et a permis à KAMB d'être enfin (re)connu pour un personnage véritablement emblématique de ce journal.
En l'interviewant à plusieurs reprises, dans un premier temps pour lui rendre hommage à l'occasion de la sortie d'un album, quelques mois avant ses 75 ans et les 35 ans de Dicentim, je découvrais un artiste dont les personnages dessinés pour Pif-gadget n'étaient que la partie immergée de l'iceberg.
Ses illustrations de presse (dans L'Humanité DImanche, puis La Vie Ouvrière) ont accompagné avec vivacité les "trente glorieuses", manifestant ses convictions profondes (quoique souvent désabusées), tandis que ses illustrations pour le journal Vaillant offraient une palette complète et impressionnante de sa production : jeux, illustrations pour la rédaction, gags en tous genres, et en 1965 la création avec Jean Sanitas de "Zor et Mlouf", série loufoque de SF, très en avance sur son temps.
On oublie souvent, d'ailleurs, qu'il fut aussi scénariste, et pas des moindres, puisqu'il écrivait des récits pour Cézard, Nortier, et aussi Yves Roy (Hidalgo) pour lequel il créa le personnage de TEDDY TED, plus tard repris et transformé par Roger Lécureux et Gerald Forton !

De son trait, on notera un souci constant de l'efficacité, de la lisibilité, de l'inventivité mais également une vraie poésie, qui lui était propre.
La profonde gentillesse de l'homme se révélait dans son trait, mais pour autant il savait aussi exprimer à travers le dessin la vigueur et la sincérité de ses idées sur la vie des hommes, des femmes, de la politique, de l'avenir du monde… sans pour autant se prendre trop au sérieux.

Homme à l'humour ravageur, très porté sur les joutes verbales et calembours (les lecteurs de Dicentim s'en souviennent…), Jacques KAMB était aussi une personnalité extrêmement pudique, qui mit très longtemps à évoquer son enfance. On sait peu qu'il a échappé miraculeusement aux rafles sous l'Occupation (De son vrai nom KAMBOUCHNER, Jacques était juif), qui malheureusement avaient emporté son père et son frère dans les camps de la mort. A sa manière, modeste et touchante, il en avait composé un récit pour la jeunesse, qui détourne les aspects tragiques de son histoire pour rendre sensible cette période auprès d'un jeune public, à travers un petit livre illustré : "Le petit clown à l'étoile". (Eds LHarmattan)
Jacques KAMB aura accompagné fidèlement toute l'aventure de Pif-gadget, du premier numéro (qui vit également la naissance de son oiseau COUIK) jusqu'à la toute dernière ressortie en date, entre 2004 et 2008.
Depuis, il se consacrait à la réédition de ses récits par des albums que ses fidèles lecteurs se réjouissaient de retrouver, notamment sur les salons BD où Jacques ne lésinait pas sur les dédicaces, toujours personnalisées et accompagnées d'un bon mot.

J'ai eu l'immense joie d'éditer avec lui un "ultime" recueil "DICENTIM POCHE", 34 ans après le précédent (daté de 1980) et j'ai pu le voir à l'oeuvre, avec un enthousiasme toujours présent malgré ses ennuis de santé, inventer, composer, réagir à ce que je lui proposais. Et généralement proposer des idées bien meilleures ou plus pertinentes, évidemment.
Il n'avait accepté l'idée de ce "poche" qu'à condition qu'il puisse accompagner le projet documentaire que je consacre à l'histoire de Vaillant et Pif-gadget, qu'il soutenait depuis le début et dont il est l'un des grands intervenants.
De mon côté, je souhaitais profiter de cette publication pour qu'on évoque ses albums, qu'un autre public fasse mieux connaissance avec cet auteur précieux. Sa modestie était aux antipodes du narcissisme de beaucoup de ses contemporains, et il m'avait fallu un peu lui "forcer la main" pour intégrer dans ces pages une interview de lui ou une illustrations reprenant ses séries d'albums.
Ses fidèles lecteurs, auxquels semblaient se joindre un nouveau public, lui ont fait un chaleureux accueil lors de la sortie du recueil en novembre dernier et je sais que Jacques en était extrêmement touché et fier. Il se faisait d'ailleurs un point d'honneur de dédicacer chaque exemplaire et se souciait constamment de n'oublier personne.
Je conserve de Jacques le souvenir de rires et moments de complicité pendant la réalisation de ce recueil, mais également lors des salons BD au fil des ans (particulièrement en compagnie de Richard Médioni et Françoise Bosquet, pour lesquels il a illustré brillamment les ouvrages consacrés à l'histoire des éditions Vaillant, de Pif, etc. -  notamment "L'Histoire complète" - son grand dessin de couverture représentant la rédaction et les auteurs de Vaillant et Pif-gadget) ou simplement lors de déjeuners, où les calembours accompagnaient toujours plats et dessert. 

Je pense aujourd'hui avec tendresse à son épouse Germaine, qui fut toujours à ses côtés et a suivi l'aventure Vaillant et Pif-gadget elle aussi, en coulisses. Nous nous reverrons souvent, je pense. Une pensée aussi pour ses enfants Marianne et Rémi, très solidaires du travail de leur papa. 

C'était un ami précieux et fidèle, et il me faut ajouter ici que Jacques Kamb était un auteur et un illustrateur très mésestimé, que l'on redécouvrira de plus en plus, et qui apparaîtra trop tardivement comme un artisan absolument essentiel de l'illustration et de la presse jeunesse en France.

Jean-Luc Muller  -  11 fev 2015

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Montage-hommage de séquences tournées au fil des ans avec Jacques, pour laisser de lui une image souriante (cliquer sur l'image pour ouvrir la page de la vidéo)… :




Le petit film complet (26 mn) réalisé amicalement avec des bouts de ficelle, à l'occasion d'une soirée-hommage à Jacques en 2007, est en ligne ici :

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Ci-desssous, des images de Jacques et un minuscule aperçu de son immense
production dans différents registres, et de son talent inimitable :

Dessin pour accompagner l'annonce d'une soirée musicale en l'honneur de Kamb (2007)
Illustration par KAMB de cet ouvrage de référence de Richard Medioni,
où la plupart des grands auteurs ou rédacteurs de Vaillant et Pif-gadget sont croqués
Dernière séance de dédicaces avec Jacques à Paris, le 6 décembre 2014.
2 grands gagmen : KAMB et MORDILLO (en 1973)
Séance d'interview pour le film, en 2012
Dans les années 50-60, KAMB se faisait une spécialité des pages de jeux très fournies...
Jacques préparant avec moi le sommaire du "Dicentim Poche", en octobre 2014 

Consécration : le personnage de COUIK est en couverture et… en gadget. (1971)
Une belle page du récit complet "Bougre de film", destinée au Dicentim Poche…
et également l'une des dernières planches de BD réalisées par Jacques Kamb.

Jacques KAMB, dessinateur de presse...

Annonce pour les aventures loufoques de ZOR et MLOUF
dans "Vaillant le journal de PIf" (1966) 
Le style de KAMB se prêtait merveilleusement aux annonces de ce genre, dans "Vaillant".
Une image de Jacques en interview, en 2011...
Jacques, tel que je me le remémorerai : à sa table de travail, heureux
d'exercer son métier d'artisan de la BD...

Documents © Editions Vaillant et © Jean-Luc Muller  sauf dessin de presse © La Vie Ouvrière et "L'Histoire complète" © Vaillant Collector