lundi 27 mars 2023

Pif, 75 ans et tous ses crocs...

75 ans !

Il va être difficile d'échapper à l'événement, tant l'équipe du magazine actuel a bataillé pour qu'il soit médiatique : numéro du journal + hors-série sur le sujet... et en forme de cerise sur la crème du gâteau, l'édition par la Poste d'un timbre commémoratif (rien que ça !) tiré à 700 000 exemplaires et dans la foulée, un album... autour de l'anniversaire des 75 ans.

Si on avait dit ça à ce cher vieil Arnal, il n'y aurait jamais cru.

Et tout cela a démarré en fanfare le 31 janvier dernier, avec le lancement officiel du fameux timbre à la librairie philatélique Le Carré d'Encre, à Paris. Ça se déroulait sous la parrainage de Stéphane Bern (qui officiait à la fois en tant que membre de la commission philatélique pour le patrimoine, mais aussi en tant qu'ancien lecteur de Pif-Gadget...)

Au passage, il nous confiait avoir lu Pif-Gadget et le Journal de Mickey, le premier encouragé par sa mère très progressiste, et le second par son père plus traditionaliste... Comme il ne manque pas d'autodérision, il a ajouté : "Ensuite j'ai mal tourné, je me suis mis à lire Point de Vue... alors que maman m'emmenait plutôt à la Fête de l'Huma. On n'est pas à une contradiction près !"

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Les anciens lecteurs du journal, devenus collectionneurs et exégètes, savent évidemment que le personnage de Pif, créé par José Cabrero Arnal quelques années après sa libération du camp de Mauthausen, fut sa manière de recréer en France ce qu'il faisait déjà en Espagne avant-guerre, tout en y voyant une manière de remercier ceux qui l'avaient accueilli de ce côté des Pyrénées.

Pif apparu sous forme d'annonce le 26 mars 1948, puis 2 jours plus tard dans le numéro de l'Humanité-Dimanche de Pâques.

Et quand on revoit la première bande mettant en scène ce petit chien, on est frappé par sa fougue et sa candeur, et aussi le fait qu'il soit en quête de nourriture, et chassé à coup de pompes dans le postérieur. C'est vraiment un chien de l'après-guerre...

Par la suite, évidemment, il s'"embourgeoise" (un comble, pour des journaux issus du PCF !) en rejoignant une famille et en se retrouvant dans des récits et gags farfelus, dont tout de même on retrouve toujours un certain esprit frondeur.
Ci-dessous : le premier "strip" du nouveau personnage venu remplacer Félix le chat dans les pages de L'Humanité, à partir du 28 mars 1948 :

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Lancement du timbre Pif, avec le responsable Philaposte, les dirigeants de Pif-Mag, Stéphane Bern et Mircea Arapu, auteur de l'illustration.

PHILATÉ-PIF...
Le timbre créé par La Poste à l'occasion des 75 ans présente 2 particularités :
il a été dessiné par Mircea Arapu, ancien lecteur de Vaillant puis Pif-Gadget en Roumanie, avant de faire le saut vers la France et finir par travailler pour le journal ! (Il y avait repris Arthur le fantôme, puis avait dessiné de temps à autre Placid et Muzo, ou même Pif).
L'autre particularité, c'est qu'il s'agit du premier timbre français se présentant sous la forme d'un strip de bande dessinée, en 3 cases !

© L'Humanité / Pif et Hercule SAS / MIrcea Arapu

Pour retrouver les "actus" sur les 75 ans de Pif, l'édition du timbre, etc., il faut aller se brancher sur les divers réseaux (Instagram, Facebook, Twitter, etc...).
Mais cette fois, la Poste elle-même joue le jeu, avec notamment une petit reportage sur .. la création du timbre :

Le journal (repris en novembre 2020) fait évidemment la couverture autour de l’événement, allusion directe à celle du premier Pif-Gadget contenant des timbres !
D'ailleurs, la fameuse Jacqueline Caurat (speakerine qui animait une émission de philatélie à l'ORTF dans les annnées 60 et 70) s'était retrouvée dans les pages du journal... mais y avait déjà figuré des années auparavant, quand il s'appelait encore Vaillant !
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Ci-dessous : 3 des couvertures "timbrées" de Pif-Gadget.
Il faut savoir que le premier numéro dont le gadget était philatélique (n°34) comportait une petite pochette de 4 timbres provenant des pays de l'Est, sponsorisée par le catalogue Thiaude. C'étaient généralement des timbres issus de stocks de Pologne, Roumanie ou Hongrie.
Le n°87 (au centre) annonçait la grande campagne de 4 semaines consécutives avec des timbres de Mongolie. La couverture a directement inspiré celle du nouveau Pif-Mag, dont les personnages ont été dessinés par Mircea Arapu.
Le n°115 (non présent ici) annonçait un "trésor", sous la forme d'une planche de 4 timbres (eux aussi en provenance de stocks périmés de la poste) de Bulgarie, autre pays du bloc soviétique. Enfin, le n°985 (de 1987) proposait une originalité : dans le cadre de l'aventure spatiale à laquelle prenait part la France, on trouvait dans le journal une pochette de timbres... soviétiques, qui illustraient l'aventure spatiale russe !

En février 1989, le journal avait établi un partenariat avec les éditions Atlas, qui lançaient une grande collection "Timbres du monde" et avaient offert (en échange de pages de publicité, évidemment) une pochette de timbres dans chaque numéro de Pif-Gadget (n°1039), ce qui en faisait en quelque sorte un second gadget... :
 

Mais la philatélie était déjà présente bien auparavant, dans Vaillant... qui comportait une vraie rubrique philatéliste de qualité, pendant plusieurs années !
De grands noms de collectionneurs ou spécialistes y partageaient leur trouvailles ou un petit bout d'histoire du timbre, agrémenté de conseils pour les collectionner, les classer, les protéger, etc...
Ci-contre : le beau numéro de septembre 1961, qui affichait en couverture une superbe collection à thème animalier ...
Étonnant !

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Pour notre part, les 75 ans de Pif sont une occasion de revisiter 75 ans d'histoire du journal et de son héros vu par plusieurs de ses dessinateurs.
Ce nouveau montage (plus dense et animé, pour une génération d'internautes qui s'ennuient dès que les interviews font plus de 4 phrases...) est l'occasion aussi de présenter des images restées inédites (on y croise Louis Cance, Kamb, Claude Bardavid, Cavazzano, Yannick et Corteggiani, que tout ce ramdam aurait bien amusé - ou énervé, bien sûr, le connaissant !...)
Un anniversaire de ce genre méritait bien un film sur mesure...

Cliquez sur l'image ci-dessous :



mercredi 4 janvier 2023

2023, et un cadeau XXIe siècle

 

2023.... déjà.

Cette année sera spéciale, pour le monde des lecteurs (et surtout anciens lecteurs) de Pif-Gadget et de Vaillant, car plusieurs événements s'y succèderont :

  • la célébration des 75 ans de la naissance de Pif le chien (Noël dernier on fêtait les 70 ans de son arrivée en fanfare dans le journal Vaillant, d'ailleurs !). Il se passera des choses ici, juste avant Pâques... ;-)

  • l'événement de la rentrée (si tout va bien...) : une version papier (oui !) de la Ouf-Gazette, qui avait été créée au printemps 2020 sous forme numérique, et dont ce premier numéro (il y en aura 2...) regroupera dans un premier volume (format "mook", à mi-chemin entre un livre et un gros... Pif à dos carré) une série de dossiers et entretiens/portraits inédits consacrés à des auteurs marquant du journal, et il sera complété par 2 gros bonus-gadget ! Et le tout accompagnera (ou sera accompagné, je ne sais plus) de films inédits et exclusifs (seuls les abonnés-souscripteurs en ont vu déjà une grande partie) mettant en scène des thèmes du journal et surtout donnant la parole à ses auteurs et rédacteurs (plusieurs nous ayant quittés depuis les tournages). Ce sera un bouquet d'archives autour de Pif, pour tous les anciens lecteurs.
    Bien évidemment, vous en découvrirez le contenu et le projet au fur et à mesure de sa progression. Publication prévue fin 2023...

  • Enfin, et ce n'est pas le moindre événement - et de loin ! - la publication par notre ami Sébastien Gérard d'un ouvrage consacré au Pif-Gadget des années 80, et jusqu'à la première mort du titre. Non seulement ce sera le premier livre (depuis celui de Richard Medioni en 2003) qui apportera vraiment des infos jamais publiées sur le journal et ne sera pas une compilation de propos et d'infos existant ailleurs, mais de plus, son point de vue axé en grande partie sur le marketing du journal et son évolution dans un univers médiatique sera alimenté par de nombreuses archives jamais vues auparavant !
    Son titre n'est pas définitif (il me semble) mais d'après mes infos, il fera l'objet d'un crowdfunding en avril et sera officiellement publié à la rentrée.

En attendant, et pour débuter l'année en ... revenant presque 20 ans en arrière, voici un cadeau de la maison : le film retraçant la reprise de Pif-Gadget dans les années 2000.
On me reproche parfois de n'évoquer que le passé de ceux qui ont connu la "période rouge", ou Vaillant... (Il est vrai que la plupart des auteurs interviewés ont travaillé pour le journal entre 1960 et 1980.) Ici, cette fois, on s'adresse aussi aux millennials ! :-)
Le film raconte le contexte de cette reprise, les auteurs qui y ont participé, le tout assorti d'archives exclusives et notamment le témoignage de celui qui nous a brusquement quitté en septembre dernier : François Corteggiani.

Pour visionner le film,
cliquer sur l'image :





samedi 15 octobre 2022

L'expo Nicolaou et son album-souvenir

Je devais évoquer il y a quelques semaines cette expo et la publication de ce joli album-catalogue biographique.
Mais sans pouvoir au minimum donner une adresse pour se procurer ce dernier, je risquais de me retrouver confronté à d'incessantes demandes ("À qui s'adresser ?" ; "
Comment faire pour le commander ?" ) pour lesquelles je n'avais pas de réponse !

Ouf, j'ai fini par obtenir les infos essentielles (voir en fin d'article).

Et puis, le brusque décès de François Corteggiani (article précédent) a bouleversé le petit monde de Pif et de ses anciens lecteurs...

Concernant l'expo elle-même, qui se tient (jusqu'au 30 octobre, et peut-être au-delà, mais je n'ai pas d'info pertinente à ce sujet), l'idée en avait été lancée il y a 2 ans, puis concrétisée partiellement l'an dernier, avant que l'Office du Tourisme de St-Georges de Didonne, où Jacques Nicolaou résidait depuis la fin des années 70, décide de lui ouvrir tout un étage. L'expo est gratuite et ouverte à tous, faut-il préciser.

- > article sur l'ouverture de l'expo, ici

La propre fille de Jacques, Béatrice, a fourni archives, planches originales, dessins, aquarelles, photos, etc., pour que cette expo rende compte de la somme de travail accumulée par son père.
Ci-dessous, quelques images de l'expo (merci à Béatrice Nicolaou pour les photos !) :




(Ci-contre, Béatrice avec son papa, dans les années 80 : photo tirée de l'album-souvenir)

Il fallait que cette expo, si modeste soit-elle, ait un catalogue ou a minima un album-souvenir qui soit à l'image du père adoptif de Placid et Muzo, et géniteur de Tib, Mecton, etc.
Paul-Louis Bouchet s'y est attelé et il a créé pour la Ville, avec sa petit maison d'édition Bonne Anse, un très joli recueil broché de 36 pages, à la manière d'un album de BD, qui retrace le parcours de Jacques Nicolaou, agrémenté de photos de jeunesse inédites, de gags, illustrations, et diverses archives familiales.
Il est mimi, rétro, bucolique... enfin bref, il ressemble beaucoup à son sujet ! Et il a été conçu en un temps record.



Un "must" pour tout ancien lecteur de Pif-Gadget... surtout s'il est un brin collectionneur !

Ci-dessus : vue de l'expo à l'étage, mêlant agrandissements de gags et illustrations, panneaux biograpiques, peintures de Jacques Nicolaou (acryliques) et souvenirs de l'époque Pif-Gadget. Au fond : Paul-Louis Bouchet, éditeur de l'album-souvenir.

Notre ami Jacques nous a quittés en avril dernier (petit article ici) mais avait pu voir la progression du projet, dont il se réjouissait.
Dommage, vraiment, qu'il n'ait vu la chose terminée. Idem pour l'album-souvenir, dont il eut certainement été très fier.

Lors de notre dernière conversation, en mars, j'évoquais le dossier que je préparais sur lui, pour une future version papier de la gazette. Il en était tout heureux. Mais là encore, parmi les projets post-Covid qui avaient été reculés sans cesse, ce dernier verra le jour sans lui.
Le pire, c'est qu'entretemps je suis tombé sur une interview improvisée devant sa maison, il y a 10 ans, dont j'avais totalement oublié l'existence. Elle avait été enregistrée en marge du film-souvenir que je lui avais concocté pour en faire un beau souvenir (avec famille et amis) de ses 60 ans de "carrière" dans la BD.

-> À VOIR ICI : LE FILM "La fête à Nico", quand Nicolaou fêtait avec ses amis ses 60 ans de métier, il y a exactement 10 ans.


Nous aurons donc l'occasion de revoir et réentendre l'ami Jacques - avec un petit pincement au cœur - évoquer quelques souvenirs personnels, lorsque ce petit film biographique sera monté, avant la fin de l'année.
Il en avait vu les principales images, mais pas toute l'interview, et pas du tout ce passage resté inédit.

Le père adoptif de Placid et Muzo reviendra ainsi, virtuellement, nous faire une visite avant Noël...

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Pour vous procurer l'album-souvenir de l'expo Nicolaou (il vaut 10€ seulement), adressez un mail à l'Office du tourisme ici :  https://www.royanatlantique.fr/contact/

(Je ne garantis pas les délais de réponse !)


jeudi 22 septembre 2022

François Corteggiani, 1953-2022

Il est souvent question dans ces pages de la disparition d'un auteur ayant travaillé pour le journal, qui nous a marqués, que nous apprécions, etc.
Bien souvent, celui qui m'appelait pour m'apprendre la triste nouvelle (ce fut le cas l'an dernier pour Mandryka, par exemple), c'était François Corteggiani.
Je n'aurais jamais imaginé qu'il s'en irait soudainement, le jour de son anniversaire (21 septembre, début de l'automne), à l'âge de 69 ans à peine, et que nous nous retrouverions tous à évoquer sa disparition... à lui... :-(

Je vais simplement reprendre plus loin le texte posté sur Facebook aujourd'hui.
Il y aura des hommages très nombreux, car Corteggiani était réellement le "monstre" de la BD populaire, qui avait connu à peu près tous les grands auteurs, avant d'en devenir un à son tour, et faisant participer un très grand nombre de dessinateurs à ses diverses créations ou reprises. Quand on pense qu'il reprenait depuis de nombreuses années le scénario de séries aussi célèbres que Jonathan Cartland, Guy Lefranc, Blueberry...
C'est dire à quel point il vient de laisser un grand vide.


Ci-contre : en 1993, à l'époque où Pif-Gadget cessait de paraître, François Corteggiani avait eu droit à un grand entretien, et la couverture,  dans HOP! - revue créée et dirigée par un ancien du journal : Louis CANCE.

En 2012, il avait même réussi à écrire un album des Pieds Nickelés, avec son ami Herlé au dessin, et ils préparaient un second album prévu pour l'année prochaine, mais qui ne verra pas le jour.
Voici la couverture de l'album paru.


Il y a 2 ans, il avait eu le plaisir d'éditer lui-même, dans un bel album, l'intégrale de sa série pour Pif-Gadget, Pastis (nous en avions fait la promo alors), qui était indirectement un hommage à son grand frère Jean-Pierre Corteggiani, archéologue. Ce dernier s'était éteint en début d'année.


Son caractère entier, parfois emporté, dissimulait une vraie générosité, tandis que sa carapace d'auteur solitaire cachait mal son plaisir d'être (bien) entouré. La création de son "Bistro-BD" était peut-être la manière parfaite qu'il avait trouvée pour créer ce grand moment de convivialité indispensable.
Voici le lien pour parcourir l'article illustré (et le film de l'événement) à l'occasion de l'édition 2013 de son "Bistro-BD".
Ce jour-là, François fêtait aussi ses 60 ans :

http://mandrake-de-paris.blogspot.com/2014/03/bistro-bd-dedicaces-au-soleil.html

Il est tout de même troublant, pour ne pas dire plus, que l'auteur qui avait repris le scénario du Pif d'Arnal fasse exactement comme ce dernier, et "choisisse" de nous quitter précisément le jour de son anniversaire. Il aimerait certainement cette info paradoxale et la partagera à coup sûr avec son ami Mandryka, quand il le retrouvera.

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Facebook - 21 septembre 2022 - 13h

C'est complètement hallucinant...
On souhaitait son anniversaire hier à François Corteggiani (qui fêtait ses 69 ans) et ce matin on apprend sa disparition.
Dans 10 jours doit se tenir le Bistro-BD qu'il avait créé à Carpentras et qui était la réunion la plus conviviale possible d'auteurs de BD et de lecteurs, sous le soleil provençal...
C'était (incroyable de parler de lui à l'imparfait...) un pilier de la BD franco-belge (mais aussi italienne !), le scénariste d'innombrables séries (La jeunesse de Blueberry, Lefranc, mais une infinité de bandes dans tous les registres - il avait même repris les Pieds Nickelés, dessinés par son ami Herlé). Ceux de ma génération se souviennent évidemment de sa reprise du personnage de Pif dans le journal éponyme (dont il fut le rédacteur en chef BD dans les années 2000, lui qui avait passé une bonne quinzaine d'années au journal à partir de 1973). Et depuis 2011 il était l'auteur des fameux "strips" de Pif le chien dans le journal qui avait vu la naissance du personnage en 1948 : L'Humanité.

(Ci-dessous, son 1000ème strip, hommage à Arnal :)


C'était un interlocuteur toujours passionné, animé, fondu de BD, collectionneur invétéré, qui emplissait l'espace physique et sonore, qui était devenu la centrale atomique de la BD populaire, connaissant et fréquentant tous les auteurs, lui qui avait également constitué un véritable réseau avec les dessinateurs italiens, lesquels avaient grâce à lui fait partie de l'aventure Pif, notamment.
Quel que soit le projet BD qui voyait le jour, non seulement François était le premier au courant... mais bien souvent il en faisait partie, ou avait été consulté avant sa mise en chantier.
Le nombre d'auteurs de la génération "post-Pif" qui lui doivent quelque chose est proprement incroyable.
Il m'avait permis de rencontrer les auteurs de son Bistro BD, et nouer quelques amitiés. Je me souviens d'ailleurs que la dernière fois que Mandryka s'était vraiment bien amusé à signer des dessins, c'était là-bas. (Et quand Nikita est mort l'an dernier, subitement, François ne s'en était pas remis).

Les voici en 2013, à Paris, s'amusant comme des sales gosses, en fin de repas :


Et c'est grâce à lui que j'avais notamment pu interviewer le grand Cavazzano.
On reparlait de tout ça au téléphone il y a 2 semaines à peine. J'ai appris qu'il s'est éteint, assez brusquement, à la fin d'un beau repas et entouré de sa famille et ses amis, venus fêter son anniversaire. Je suis certain qu'il n'aurait pas imaginé son départ autrement, mais évidemment quelques décennies plus tard...
Encore sous le choc, je partage une photo prise il y a 12 ans, et qu'il aimait bien (je l'avais alors surnommé "l'Orson Welles des p'tits Mickeys"), et plus bas une autre pour l'édition 2015 du Bistro-BD.
 
Toutes mes pensées à ses deux fils, Baptiste et Timothée, qui vont devoir reprendre la baraque, ce qui va être très lourd et compliqué.
(Baptiste travaillait avec François sous le pseudo Bonaventure, et assurait entre autres les couleurs du Pif dessiné par son père).

Ciao, l'ami François.

Jean-Luc Muller - 22-09-2022
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MISE À JOUR, décembre 2022 :
Sur le site BDZoom, Henri Filippini rend hommage à François Corteggiani et tente l'exploit de passer en revue la production phénoménale de Corteggiani. C'est en 2 parties, à lire ici :

http://bdzoom.com/182586/patrimoine/passion-bande-dessinee-hommage-a-francois-corteggiani%E2%80%89-premiere-partie/

http://bdzoom.com/182719/patrimoine/francois-corteggiani-passion-bande-dessinee%E2%80%89-seconde-partie/
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Ci-dessus : François en 2015, fier de présenter l'affiche dessinée par son copain Mandryka.

Ci-dessous
: montage-maison à partir d'une photo prise à la rédaction de Pif-Gadget à la fin des années 70. On y reconnaît Jacques KAMB (derrière l'enfant), le rédacteur Claude BARDAVID, André CHERET (au centre) et derrière lui, la tête qui dépasse est celle de François CORTEGGIANI :


 Épuisés, après une longue journée, non-stop, de Bistro-BD en septembre 2013 :

François Corteggiani au travail sur un strip de Pif le chien, en 2012 :

lundi 5 septembre 2022

Il y a 40 ans, Arnal...

Un triste jour de septembre 1982, les membres de la rédaction du journal Pif-Gadget apprenaient peu à peu la nouvelle de la disparition du créateur de Pif le chien, auquel ils devaient le nom du journal pour lequel ils travaillaient, mais aussi un certain état d'esprit graphique, et des personnages dont le point commun était la gentillesse, et une certaine rondeur graphique.
José Cabrero Arnal, auteur et illustrateur espagnol, réfugié en France à la Libération, rescapé des camps de Mauthausen, avait été accueilli par des camarades qui lui trouvèrent rapidement un travail que sa santé précaire lui permettait d'effectuer et prolongeait le début de sa carrière dans les illustrés espagnols : il dessinera pour des journaux français (en l’occurrence, ce sera L'Humanité), puis pour un illustré jeunesse (Vaillant) et d'autres titres ensuite.
On lui doit en France plusieurs personnages - toujours animaliers d'ailleurs - dont les premiers à connaître la notoriété seront Placid et Muzo, en première page de Vaillant. Pour le numéro de Pâques 1948 de L'Humanité-Dimanche, il créera le personnage de Pif le chien, sous forme de strip quotidien. Ce dernier rejoindra les pages de Vaillant pour Noël 1952 et ne quittera plus jamais le magazine, dont le nom empruntera progressivement celui de ce personnage, jusqu'à la création en février 1969 de la formule Pif et son Gadget Surprise, rebaptisé ensuite simplement Pif-Gadget.

La petite famille créé par Arnal autour de Pif le chien.

À la rentrée 1982, l'annonce de la disparition du créateur de Pif remua quelque peu le milieu de la presse BD, et les hommages fusèrent : on redécouvrit soudain l'importance qu'avait eue cet artiste discret mais indispensable, au parcours douloureux mais à la bonhomie restée intacte.
Et on se rendit compte aussi, avec étonnement, qu'il avait disparu précisément le jour de sa naissance, un 6 septembre. Comme s'il fallait absolument boucler la boucle, discrètement.

Dans 3 mois, un grand dossier sera consacré dans la Ouf-Gazette (des anciens lecteurs du journal) à José Cabrero Arnal et ses personnages. Aujourd'hui, nous avons choisi de lui rendre hommage à travers quelques souvenirs et archives.

Ci-dessus : l'annonce de la disparition d'Arnal dans L'Humanité-Dimanche début octobre 1982 (on y republiait le tout premier "strip" du personnage, datant d'avril 1948) et en-dessous l'une des photos de Jean Texier, tirée d'une série prise chez le dessinateur en 1974, et qui servira ensuite pour divers articles.

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Témoignages de ceux qui ont connu ou côtoyé Arnal, à l'époque où ils travaillaient dans le journal. (D'autres témoignages viendront les compléter pour un dossier de la Ouf-Gazette, à la fin de l'année) :

Arnal était à l'image de son personnage : Pif était un chien foncièrement gentil, malin, qui se retrouvait dans des situations absurdes, parfois en conflit contre l'autorité, et dont il devait se sortir en gardant le sourire. Comme lui, son auteur était un vrai "gentil".
Et quand il passait au journal, ce journal qui portait le nom de son personnage, Arnal donnait toujours l'impression de nous devoir quelque chose, alors qu'en définitive c'est nous qui lui devions tout.       

- Richard Medioni  (Arrivé à la rédaction du journal en janvier 1968 - Entretien de 2015)

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Ci-contre : Célèbre photo d'Arnal par Willy Ronis pour le journal Regards, en nov. 1948.
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Jean Ollivier m'avait appris la nouvelle en septembre 1982. Attristés, je me souviens que nous étions alors partis boire un verre à sa santé.
À l'époque, il ne passait plus au journal, mais je me souviens que Michel Motti (arrivé au journal fin 1969, et qui faisait partie des dessinateurs de Pif depuis 1974) en parlait souvent, car c'était quelqu'un qui l'avait marqué et avec lequel il ressentait un lien très fort. De mon côté, je n'avais pas eu l'occasion de croiser souvent Arnal, étant arrivé au journal un peu plus tard, mais l'image que je garde de lui, c'est celle d'un petit Monsieur discret, habillé en gris, avec un veston et une cravate. Ce qui m'avait marqué, c'était sa façon de fumer sa cigarette, à l'intérieur de la paume, comme s'il y avait un peu de honte à ça. Je me souviens aussi de sa voix, avec cet accent caractéristique.
Son style était très rond, et je le comparerais à quelqu'un comme Tezuka au Japon, pour le côté animalier et un trait doux et feutré. C'était un très très grand dessinateur.
Ses couvertures de
Roudoudou ou de Placid et Muzo étaient superbes, et méritent qu'il soit au Panthéon des illustrateurs.  

- François Corteggiani (Arrivé au journal fin 1973 - scénariste et dessinateur de Pif)

Strip-hommage à Arnal en 2018, qui était également le 1000ème dessiné par Corteggiani dans L'Humanité.

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Son dessin était tout en rondeur, c'était vraiment adorable. C'était un grand dessinateur et en voyant ce qu'il faisait à l'époque de Vaillant, je ne m'imaginais même pas réussir un jour à me hisser à un niveau comparable. Pour moi, Arnal, c'était la perfection. 

- Jacques Kamb  (Entretien en 2013)

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C'était vraiment un grand Monsieur, toujours gentil, très humble. Et alors, un coup de crayon et de pinceau vraiment épatants. C'était d'un niveau... Je peux dire que je lui dois tout, d'une certaine façon. Quand on m'a proposé de reprendre ses Placid et Muzo, il m'a encouragé, était toujours extrêmement sympathique, alors qu'il aurait pu me prendre de haut.
Il m'avait même proposé de m'offrir ses crayons, ses pinceaux... Je ne pouvais pas accepter, je ne me sentais pas à la hauteur, ça me gênait. Et chaque fois que je revois ses dessins, ses couvertures, etc., c'est vraiment parfait, il n'y a rien à redire, chapeau.
 

- Jacques Nicolaou (Entretien en 2012)


 Placid et Muzo par Arnal, en 1946.

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Je l'avais rencontré quand le journal m'avait proposé de travailler sur Pif (en alternance avec Louis Cance). C'était un Monsieur très gentil, sans aucune espèce d'égo.Il était très effacé et pouvait même passer quasi inaperçu. Il menait une vie simple, allait revoir ses copains quand il le pouvait, et parmi eux d'ailleurs quelques anciens camarades de l'époque de sa captivité. Sa santé était restée très fragile, mais il se sentait mieux quand il passait à l'atelier, ou qu'on allait prendre un verre. Il me donnait des conseils qui étaient toujours très précis, logiques, et je prenais des notes qui m'ont beaucoup servi pour m'améliorer. Je l'ai côtoyé de cette manière une vingtaine de fois, peut-être, et quelque fois aussi chez lui.
Je trouve que le journal ne l'a pas traité correctement, et en tous cas pas à la hauteur de ce qu'il représentait. On travaillait quand même dans un journal qui portait le nom de son personnage !
 

- Yannick (qui reprit en alternance le dessin de Pif à partir de 1969, puis connut le succès grâce à Hercule)

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Annonce pour la sortie de l'ouvrage Une vie de Pif, sous la direction de René Moreu, en octobre 1983.

Quand j’ai appris la mort d’Arnal, cela faisait un long moment, peut-être deux ou trois ans, que nous n’avions plus vraiment de nouvelles de lui. Il semblait couler une retraite à peu près paisible, après une vie très mouvementée.
Mais rétrospectivement, pour moi, après quarante ans, le sentiment qui domine c’est une succession de regrets. Je suis d’ailleurs en train d’écrire un texte à ce sujet.
Il y a notamment le regret de ne pas l’avoir mieux connu et plus sollicité. C’était un grand timide, et nous n’avions pas le désir de le bousculer. Mais j’aurais tant aimé avoir partagé plus de conversations, plus d’échanges de connaissances car pour nous (à la rédaction, et aussi pour les auteurs), c’était un peu notre père spirituel, au fond. J’avais eu la chance de me rendre chez lui et découvrir l’artiste dans son environnement.
Quand on pense au calvaire de sa jeunesse, le franquisme, les camps en déportation, et de l’imaginer à la sortie de Mauthausen, dans le dénuement le plus total, et pourtant plein de créativité et d’envie de vivre... Il n’en parlait jamais et je peux te dire qu’au journal, très peu savaient ce qu’il avait vécu. C’est le syndrôme partagé par beaucoup de rescapés, qui ne veulent pas ressasser et préfèrent se tourner vers l’avenir.

Quand il est mort, le journal a évidemment fait ce qu’il fallait, a conçu un numéro en son honneur, etc. Le choc était très grand et nous réalisions combien nous lui devions. Je pense d’ailleurs qu’on n’a pas fini de réévaluer sa place dans le monde de la BD et de l’illustration.
Et si je devais résumer son style ou son trait, je dirais qu’on y retrouve de la rondeur et de la gentillesse, pas une trace d’agressivité, même lorsqu’il dessine un personnage de policier. D’ailleurs, son père avait fait partie de la Guardia Civil (avec sabre au ceinturon, etc.) ce qui est assez étonnant si on y pense.
D’un mot, je dirai que son dessin traduisait toute sa bienveillance.

- Claude Bardavid  (Arrivé à la rédaction du journal en 1972)

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Le journal avait concocté un numéro spécial en hommage à Arnal, qui parut en janvier 1983. On y trouvait notamment ces deux pages, qui résumaient un peu le sentiment général à l'époque. (Il y avait également une courte biographie, des hommages en BD, etc...) :



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Toute la tendresse d'Arnal, qui s'exprimait toujours poétiquement à travers son bestiaire, avec cette illustration pour le journal Roudoudou :


Ci-dessous : dessin destiné à Pif-Gadget par l'italien Giorgio Cavazzano, en 1989.
Il y dessinait Arnal face à un Pif "new look", avec une référence directe à sa généalogie en présentant son ancêtre espagnol Top - que l'on considère assez généralement comme le "papa" de Pif le chien :
En 1980, Arnal avait écrit et dessiné un récit fantasmé, le dernier de sa carrière d'auteur de bandes dessinées. Destiné à l'Almanach de l'Humanité, il avait un caractère très autobiographique, comme un songe éveillé au pays de la BD. Il y croisait même... Mandrake !
Le dernier dessin de ce récit (qui, pour des raisons de retards postaux, ne fut pas publié à l'époque et resta même inédit à la mort d'Arnal !) c'était Arnal lui-même... et cet autoportrait avec sa signature représente sans doute le point final et le tout dernier dessin de sa carrière...

Pour mieux connaître le parcours de José Cabrero Arnal, il existe cet ouvrage qui est un peu la biographie définitive, permettant au passage de découvrir également l'étendue de son travail en Espagne, avant la guerre.
Il est écrit par Philippe Guillen, qui y fait œuvre d'historien :