samedi 16 mai 2020

René Moreu, cent ans d'images

Cabrero Arnal et René Moreu, pour un "concert fantaisiste", en 1954.
Il arrive des moments où l'on est bien obligé d'appuyer sur le bouton "pause" pour prendre le temps d'un petit retour historique.
Aujourd'hui, c'est pour évoquer la mémoire d'un grand Monsieur à qui nous devons sans doute beaucoup et qui vient de nous quitter, dans sa centième année.

Au lendemain de la Seconde Guerre, cet ouvrier imprimeur résistant est embauché dans le premier grand journal illustré pour la jeunesse créé après la Libération (publié par l'Union des Jeunesses Républicaines de France, issues du PCF), et dont il sera le rédacteur en chef.
Son nom était René Moreu et le journal s'intitulait Vaillant, qui allait devenir 25 ans plus tard Pif-Gadget.
Ci-dessus : une "ronéo" à alcool permettant de dupliquer des tracts. Elle date des années 30 et servit sous l'Occupation. (Musée de la Résistance - Champigny, déplacé depuis cette photo)  À côté, un numéro du "Jeune Patriote" publié à l'approche de la Libération et à côté, son successeur "Vaillant" créé en juin 1945.
Peintre et illustrateur pour enfants, sa palette (notamment dans le domaine de la peinture animalière) est vive, franche.
Plus tard, lorsqu'il aura tiré un trait (c'est le cas de le dire) sur l'illustration destinée aux jeunes enfants - discipline très particulière et exigeante, qui demande une compréhension des perceptions enfantines et est pourtant très mal considérée - il se lance dans des œuvres qui mêlent les techniques, et sont souvent en volume.
La triste ironie du sort voulut qu'une affection de la rétine le rende progressivement quasiment aveugle.
Ami de Cabrero Arnal, le créateur de Pif le chien (avec lequel il travailla longtemps) et du grand illustrateur et affichiste André François, René Moreu était moins connu mais très apprécié et souvent exposé, notamment aux côtés de Mirò et Picasso, excusez du peu....
Une nouvelle expo était d'ailleurs prévue cette année, avec la publication d'un ouvrage. Ces événements furent remis à plus tard pour cause de confinement.
René Moreu était un enfant de l'Histoire : né le 11 novembre 1920, il est mort cette nuit dans sa centième année.






La rédaction du journal gardera toujours pour René Moreu un grand respect, teinté d'admiration. Tous savaient ce qu'ils lui devaient.
Et c'est pourquoi, au tournant des années 80, alors que le journal vacillait et perdait un peu son cap, on décida de rappeler René, le doyen fondateur. Avec son compagnon de route le scénariste Jean Ollivier, il choisit d'ailleurs de faire revenir la bande dessinée au premier plan dans le journal.
Vaillant et Pif-Gadget avaient une identité dont l'un des fondements se traduisait par un dialogue entre générations : les "anciens" avaient passé la main au milieu des années 60 pour faire émerger une nouvelle vague d'auteurs et rédacteurs, qui engendra un renouveau total. 

Quinze années plus tard, ces mêmes "anciens" revenaient à la barre pendant quelques années... et n'eurent de cesse de donner leur chance à d'autres "petits jeunes", dans un respect mutuel jamais pris en défaut. C'est un peu ce que traduisent les deux extraits de textes ci-dessous...

René Moreu dans son atelier - années 1990. (Photographe inconnu)
Les deux extraits de textes ci-dessus sont tirés (ainsi que certaines reproductions de cette page) du catalogue de l'expo "Célébrer la nature - résister à l'aveuglement" qui s'est tenue en 2015. (Sous la direction de Laurent Gervereau - Editions Musée du Vivant)
Précisons que Richard Medioni et Claude Bardavid furent tous deux, à une décennie d'écart, rédacteurs en chef de Pif-Gadget, et eurent l'occasion de beaucoup côtoyer "le grand ancien" qu'était René Moreu, et que tous respectaient beaucoup au journal.